America Lonely

Ce que je sais de ce voyage ? Qu’il a commencé en banlieue de New York. Qu’il s’achèvera à San Fransisco un mois plus tard si Dieu me prête vie. Que je suis venu ici poussé par un mouvement vital, comme on fait un redressement pour échapper au vide. Que pour me soustraire à la dormition de celui qui reste immobile, j’ai acheté un billet non remboursable qui me contraint au départ, au changement, au mouvement…
Jour après jour, un flux d’espace entre par mes yeux et rafraîchit ma tête.
Jour après jour, la lumière de ce pays me traverse et nettoie les plaies de blessures anciennes.
Loin sous mes états d’âme, une joie a pris racine.
Jour après jour, elle se ramifie en secret, croît en silence, se nourrissant du seul fait d’être.

Les images d’America Lonely sont comme des notes griffonnées dans les marges d’un carnet de route. Elles ont été prises au gré des lieux, des lumières, des déceptions ou des émerveillements suscités par l’errance dans l’espace américain sans programme ni motif préétabli. Elles ont servi de capsules de mémoire capables, longtemps après le retour en Suisse, de libérer des sensations, des pensées, des états d’âme que le corps croyait avoir oubliés.

C’est sur ce canevas d’images que s’est construit le texte.

Le livre America Lonely est paru aux éditions Slatkine en 2013.

Extrait

“Après des heures de traversée dans le désert plat d’Arizona, la route se met à monter, une route flambant neuve, noire, lisse comme du velours. Le goudron frais bourdonne sous les roues de mon carrosse et dans le pinceau des phares, la peinture du marquage scintille comme de la neige fraîche sous la lune.

Pendant des heures, je n’ai rien vu sinon des paysages arides ponctués ici et là de collines émoussées et basses.

Quelques miles avant la Las Vegas Bay, une lueur rouge apparaît au loin, exactement au milieu de nulle part. Elle grossit régulièrement et bientôt je peux lire “Texaco” contre la masse des montagnes assombries. Quelques minutes plus tard, la petite station-service dérive à ma droite : enseigne rouge contre le ciel mauve, lumière blafarde sous la corniche du shop et, en travers du parking, un camion noir à l’arrêt, portes ouvertes sur l’habitacle illuminé et vide.

Dans le rétroviseur, je suis cette vision sortie d’un film halluciné. L’enseigne rouge rapetisse contre le ciel jusque’à n’être plus qu’un point, finalement absorbé par l’épaisseur de l’air violet.”

What do I know of this trip? That he started in the suburbs of New York. That it will end in San Fransisco a month later if God gives me life. That I came here pushed by a vital movement, as one makes a recovery to escape the void. That to escape the dormition of the one who remains motionless, I bought a non-refundable ticket that forces me to leave, to change, to move…
Day after day, a stream of space enters through my eyes and refreshes my head.
Day after day, the light of this country passes through me and cleanses the wounds of old wounds.
Far beneath my moods, a joy took root.
Day after day, it branches out in secret, grows in silence, nourishing itself with the mere fact of being.

America Lonely’s images are like scribbled notes in the margins of a travelogue. They were taken according to the places, the lights, the disappointments or the wonders aroused by wandering in American space without a pre-established program or reason. They served as memory capsules capable, long after the return to Switzerland, of releasing sensations, thoughts, states of mind that the body thought it had forgotten.

It is on this canvas of images that the text was built.

The book America Lonely was published by Slatkine editions in 2013.

Extract

“After hours of crossing the flat desert of Arizona, the road starts to climb, a brand new road, black, smooth as velvet. The fresh tar buzzes under the wheels of my carriage and in the brush of the headlights, the paint of the markings glistens like fresh snow under the moon.

For hours I saw nothing but barren landscapes punctuated here and there by blunt, low hills.

A few miles before Las Vegas Bay, a red glow appears in the distance, exactly in the middle of nowhere. It grows steadily and soon I can read “Texaco” against the mass of darkened mountains. A few minutes later, the small gas station drifts to my right: red sign against the mauve sky, pale light under the cornice of the shop and, across the parking lot, a black truck at a standstill, doors open on the passenger compartment. illuminated and empty.

In the rearview mirror, I follow this vision out of a hallucinated film. The red ensign shrinks against the sky until it is no more than a point, finally absorbed by the thickness of the purple air.